Les tentations de Jésus

Notons d’abord la passivité, la pauvreté de Jésus : le diable l’emmène, le porte, lui fait faire l’économie de la liberté. Jésus est en quelque sorte manipulé. Les hauteurs sont des lieux d’idéalisation. Dès qu’on atteint un sommet (physique ou psychique), on est particulièrement fragile parce qu’on risque d’oublier la réalité dans sa finitude, d’oublier le champ symbolique. Dans la Bible, les hauteurs sont très ambivalentes : à la fois lieux de l’expérience de Dieu et lieux de la tentation de l’idolâtrie. La tentation porte sur la toute-puissance : tout, tout de suite, typique de l’illusion fusionnelle. De plus, le diabolique est mensonger : les royaumes ne lui sont pas remis. Situé dans le mensonge, on ne peut plus bien se placer entre symbolique et imaginaire.

Se prosterner, c’est ce qui coupe de l’autre, ce qui empêche de marcher et de voir. Tout ce que refuse Jésus, qui veut mettre debout et faire marcher… « Suivez-moi » dira Jésus… Tandis que le diabolique immobilise, Dieu mobilise…Est invoquée la loi du Père et Jésus rappelle que Dieu seul a droit au culte. C’est le refus de toute dictature qui veut diviniser une réalité humaine ; le refus d’absolutiser toute réalité humaine. Le temple de Jérusalem qui est supposé être le lieu privilégié de la rencontre de Dieu devient le lieu du sommet de la tentation. La pointe de la tentation est : tu peux faire l’économie de la mort. Le diable a compris la stratégie de Jésus : alors c’est lui qui invoque la loi, mais de manière perverse : il invoque la loi pour faire l’économie de ce qu’instaure la loi. La Bible est invoquée contre Bible : il y a une exégèse diabolique, et la Bible peut être source de tentation. Une exégèse morcelante peut être source de tentation. Toute théologie qui ferait l’économie de la mort serait diabolique. Ce texte sur les tentations de Jésus nous rappelle que le monde de Dieu, jamais, ne nous fait quitter notre condition humaine. C’est dans notre humanité qu’il nous faut reconnaitre notre dimension de fils. La morale qui nous est proposée dans ce texte n’est pas régressive. Mais toute spiritualité ou toute théologie qui, au nom de Dieu, dénieraient la finitude humaine seraient immorales et perverses.