l’art de Kim en Joong, par X. Caquineau

L’art de KIM EN JOONG O.P.
Peintre coréen de renommée mondiale, dominicain, il vit en France depuis 1975, toujours par monts et vaux selon les demandes qui lui sont adressées. Son art peut déstabiliser, comme il peut séduire d’emblée. Art non habituel en Occident mais pourtant pleinement occidental et art pleinement oriental à la fois. Les couleurs puissantes et pleines de nuances témoignent de l’un, les formes et les traits témoignent de l’autre. Deux caractéristiques constantes apparaissent aussi d’emblée : un art non figuratif, et des images de couleurs denses sur fond blanc. (perceptions primaires)

L’œuvre peut laisser indifférent mais le plus souvent elle éveille, anime d’émotion le jardin personnel et secret, ravigote l’énergie intérieure, transmet l’apaisement sinon la méditation. Si elle est belle, elle n’est cependant pas faite pour caresser le plaisir esthétique, un bien-être, des certitudes personnelles, mais elle est pour retrouver en soi les forces vives, une vérité profonde enfouie au creux de soi, une relation à l’Invisible, une attention à la lumière intérieure. Elle propose de s’abandonner avec confiance à plus grand que soi caché dans la vitalité de l’Amour.

Pour aller au cœur de la lecture de cet art, la question n’est pas de se dire immédiatement en occidental cartésien : « qu’est-ce que cela veut dire ? » ou bien « qu’est-ce que cela représente ? ». Mais elle est plutôt de prendre le temps d’intérioriser comme les sages orientaux grâce à la question « qu’est-ce que cela me fait vivre ? ». En un mot « se laisser faire », car cet art cherche à faire vivre une sensation qui réveille la confiance envers la vie. Il propose de conduire sans danger le « regardant » à la découverte du monde du présent, fait du monde intérieur de l’esprit et de l’âme chargé de sens et de méditation et tout aussi réel, naviguant de concert avec l’autre, le monde extérieur agité et envahissant d’aujourd’hui dont le sens est difficile voire même impossible aussi à trouver. (perception secondaire)

De culture familiale confucéenne et bouddhique, fils de calligraphe dont il a reçu la transmission d’un savoir multi séculaire, adoptant la foi chrétienne à 27 ans puis optant pour les frères dominicains et la prêtrise à 34 ans, son art dit-il est sa « prédication », non pour prendre pouvoir mais pour ouvrir le cœur. En apparence art de taches colorées et de traces noires, d’éclairs zigzagants traversant la couleur, de bavures et de débordements de cadre, cet art peut déconcerter par la vigueur ressentie sans cohérence apparente.

Pourtant son art est fait « d’unité, d’ordre et de beauté ». Œuvre lyrique suggestive non figurative sans être abstraite, vivante, conçue comme un don et un désir de « soulever les âmes et les cœurs », cherchant à procurer la paix, à retrouver ou donner celle-ci dans un monde de violence. Entrainer vers la lumière, vers l’espérance, se libérer des ténèbres, manifester la conviction qu’il existe aussi un monde fait d’amour et de beauté dépassant la beauté esthétique et séduisante mais froide, un monde de beauté qui entre en relation avec l’être créé jusqu’au risque des pleurs. Témoignage du mystère plein de vitalité et de fragilité qu’est la vie. Témoignage d’une vérité qui recharge l’énergie. Plénitude de recherche de la lumière.

Ses supports d’œuvre que sont la toile, le verre, la céramique sont inondés de couleurs et de lumière. Le geste calligraphique appris dès l’enfance nécessite méditation, concentration avant de lancer le mouvement du bras et de la main armée du pinceau ou du couteau et de la spatule qui va marquer le support. « Traces d’encres » et arrachements habitent d’énergie le support. (analyses à faire)

Pourquoi cette lumière et cette énergie ? Comment reconnaitre leurs présences sur les supports ?

La lumière, la première créée, est le don sans lequel la vie ne peut se développer. Elle a la capacité de révéler, de dévoiler ce qui est caché et d’éclairer les ténèbres. Ces dernières veulent empêcher la plénitude d’advenir en cachant la lumière, en atténuant son éclat, en brouillant sa lecture. Elles constituent aussi, ne nous appartenant pas, un monde des possibles, des transformations, non de la seule mort. Aussi la reconnaissance de leur existence réelle ne peut être occultée. Elle est nécessaire. Lutte implacable chez Kim En Joong : « ma peinture est un combat, ma toile un champ de bataille, mon pinceau un sabre pour chasser les ténèbres ». Le blanc est sa référence « support positif des autres couleurs, signe de plénitude, couleur la plus lumineuse, visant à procurer l’apaisement pour mieux accueillir ensuite le mystère ».

Et pourquoi donc aussi cette énergie ? Elle est le fruit de la vie, rassemblée et concentrée en soi par la méditation. Elle est donnée par la puissance de la vérité recherchée qui engendre la vérité du geste créateur confronté au tribunal du sens. Sensation mystérieuse d’être touché pour le « regardeur qui contemple », peut-être même ému sans comprendre par cette vérité toute humble qui introduit au mystère de soi-même, à plus que soi-même, et aussi au présent, au vécu.

Comment lumière et énergie se traduisent-elles dans les options artistiques adoptées par Kim En Joong ?

Les couleurs sur fond blanc sont bien individualisées, contrastent, et dialoguent ensembles sans prendre pouvoir l’une sur l’autre. Choisies souvent sur la palette des trois couleurs primaires, elles sont chargées d’une symbolique variable. Le rouge de la naissance, du sacrifice, de la puissance de la vie, le bleu de l’espérance et de la douceur, le jaune de la joie, et pour les autres couleurs le vert de la réconciliation, l’orange, le violet ou le brun qui adoucissent et humanisent la puissance des couleurs primaires. Vibration infinie des couleurs grâce à leur chromatisme lumineux et sans fin, qui donnent vie toujours renouvelée fertile en émotion, chromatismes impossibles à mémoriser donnant une sensation de libération de tout pouvoir humain. Ces couleurs sont comme l’incarnation concrète de la lumière que le chromatisme infini des couleurs rend vivante, rappelant en d’autres temps l’allégorie de la « parabole du vitrail ».*

Les formes aux variations infinies semblent exploser et provenir du fond blanc. Taches aux contours inattendus et naturels, obtenues non par calcul savant mais par abandon aux lois de la pesanteur et à la pureté de la sensation. ( Kim En Joong peint au sol et balance le support avant séchage ). Les formes cherchent à évoquer l’élancement vigoureux de la vie qui ne peut rester sagement à l’intérieur du cadre dont elles débordent les limites. Formes orientées dans l’élévation évoquant la relation Ciel/Terre et vice-versa, formes développées latéralement pouvant évoquer l’accueil des bras ouverts ou le désir d’aller aux quatre coins du monde. La paix « branchée »… et pour tous !
Au cours du travail, ajustements de l’œuvre en devenir après chaque séchage, après chaque cuisson, œuvre en continuelle gestation, autant de fois remise sur l’ouvrage que de séchages et de cuissons. Ajustement sans cesse de l’œuvre, patience du regard, courage du geste, émerveillement de l’âme, mystère de la décision. A quel moment est-elle considérée comme terminée ? Mystère de l’art ! …et de l’artiste…

La fulgurance des traits noirs au pinceau de calligraphe et des arrachements de matière à la lame du couteau ou de la spatule témoigne de l’énergie du geste. Ces fulgurances évoquent le chemin de la vie fait d’évènements de joies sublimes et de souffrances écrasantes. D’une part les traits noirs peints en dernier sur les autres couleurs peuvent rappeler que la beauté basique originelle de la création est toujours là, comme support, bien que blessée. Ils peuvent suggérer l’inattendu des évènements de la vie sources des peurs « tombant » au jour le jour.

D’autre part les stigmates, arrachements de couleurs tracés et mémorisés à jamais dans la chair et la matière de l’œuvre, peuvent évoquer les marques plus ou moins cicatrisées de la souffrance et de la mort que l’être vivant porte sur lui et en lui. Ces traces vigoureuses zigzagantes, traits et stigmates, sont limitées au cadre sans le déborder ; elles restent internes aux formes colorées symboles de vie qui, elles au contraire dépassent et sortent du cadre. Cette vision des traits et formes aux limites restreintes ou dépassées peut suggérer, laisser entrevoir, qu’espérance et vie sont plus fortes que la mort. Et la lumière, blanche qui contient toutes les couleurs, est toujours là au-dessous du tohu-bohu. Enfin bavures, taches, coulures de peinture peuvent rappeler humblement, simplement, toutes les imperfections, les détresses, les larmes qui accompagnent aussi en chaque être vivant la beauté, la grandeur et la splendeur de sa vie témoignée.

La liberté de lecture et la confiance totale de l’artiste envers le « regardant », dévoilées par le choix de l’absence de titre et de l’absence de figuration (sans vouloir aller jusqu’à l’abstraction), veulent être respectées en vue d’éviter le risque de prendre pouvoir sur le « regardant » car le regard comme le figuratif peuvent éventuellement s’imposer à l’être et l’empêcher de vivre une expérience personnelle. « Expliquer sa peinture, quel supplice ! Elle se vit, se partage. Laissons sentir. Je laisse à chacun la liberté d’imaginer ce qu’il peut et veut y voir ». Cependant accueil et quelques clés de lecture peuvent aider et éveiller la possibilité d’une relation sensitive avec l’œuvre… comme l’enfant a besoin de recevoir les clés de la vie à découvrir pour en vivre.

Si le regard porté à l’une de ces œuvres déconcerte ou déstabilise, venir alors tout près de la toile choisie, du vitrail, de la céramique, entrer dans l’intimité de cette œuvre en l’approchant à quelques centimètres, en contempler sans toucher quelques dcm2, admirer sans risque la complexité de la couleur, son chromatisme infiniment varié et chatoyant, et imaginer avec simplicité le geste humain de créativité accompli dans l’unité matérielle et spirituelle en ce petit extrait d’œuvre. Se laisser faire, faire confiance dans le silence, laisser monter la paix ou la joie ou la peine, laisser même monter l’incompréhension possible, les mêmes émotions fortes puisées par Kim En Joong dans la vie des êtres du monde quotidien et dans le livre qui lui tient à cœur, la Bible, émotions traduites visuellement dans son art. Là est la source de son travail et de son universalité, permettant avec un peu de quiétude de s’y abandonner sans danger et même d’y communier sans peur. « Devant cette peinture on a envie de s’envoler » dira une jeune visiteuse.

Merci d’avoir lu cette courte introduction, premier acte pour contempler cet art de vie
* Maurice Zundel – Saint Bernard – Suger X.Caquineau ISTA ICP Paris Septembre 2012 V6