En attendant le retour des retraitants…

Note : En raison des contraintes sanitaires, les centres spirituels ne peuvent plus accueillir de retraitants. Malgré les aides de l’État, ces fermetures ont des conséquences économiques qui poussent ces centres à trouver de nouvelles voies et à s’interroger sur l’avenir.

« Retraite annulée. » Sur le site des Foyers de charité, le bandeau barre toutes les prochaines sessions proposées dans l’un des onze centres de l’Hexagone, qui n’accueillent pas moins de 16 000 personnes au cours d’une année « normale ». Et les tentatives de programmation à quelques jours ou quelques semaines semblent inexorablement condamnées à prendre la même voie. Cet exemple n’est, hélas, pas isolé : en raison du Covid-19, l’ensemble des centres spirituels du pays ont dû renoncer à accueillir des groupes.

Malgré un ton enjoué, Anne-Cécile Guillemain dissimule mal une certaine tristesse. Les Tourelles de Condette, cette belle maison du diocèse d’Arras (Pas-de-Calais) qu’elle dirige, sont désespérément vides. « C’est par le passage de tant de personnes que cette maison vit », soupire-t-elle. L’établissement d’une cinquantaine de chambres, en lisière d’un bois et à quelques dizaines de mètres de la Côte d’Opale, n’a plus hébergé personne depuis la fin du mois d’octobre. Partout, le triste constat est semblable, même si quelques centres ont rouvert entre décembre et mars.

Au-delà du manque spirituel qu’il engendre, l’arrêt des activités a aussi des conséquences économiques importantes. « L’an dernier, les recettes ont diminué de moitié », confirme Timothy Kear- ney, de L’Arche, qui reçoit habituellement des retraitants à la Ferme de Trosly, dans l’Oise. À l’instar de nombreux autres acteurs économiques du pays, la quasi-totalité des centres spirituels de France a dû se résoudre à des mesures de chômage partiel, pour tout ou partie des salariés qui assurent le fonctionnement quotidien. Malgré ces mesures, la situation économique reste difficile. « Même si nous avons reçu des aides via le fonds de solidarité, elles ne couvrent pas la totalité des pertes, notamment à cause des frais fixes importants », souligne le père Clément Nguyen, directeur par intérim du centre jésuite Manrèse, en banlieue parisienne.

Face à cette situation, certains centres spirituels bénéficient de l’aide du diocèse dont ils dépendent. « Le diocèse assure déjà une part du financement en temps normal et va devoir subir cet impact financier, même si nous limitons au maximum les frais », indique le père Paul Morineau, directeur du centre spirituel de l’Immaculée, en Vendée. « Au total, nous allons perdre une année d’exploitation et c’est une somme importante qui va se répercuter sur le budget diocésain », abonde Anne-Cécile Guillemain, de la maison de la Côte d’Opale, tout en précisant que l’avenir du lieu n’est pas en cause.

Pour les centres spirituels qui ne dépendent pas d’un diocèse, il faut trouver d’autres moyens de financement. « Les dons nous permettent d’assurer le minimum pour vivre et non simplement survivre », indique, reconnaissante, Aurélie Carpentier, déléguée à la communication des Foyers de charité. D’autant que les centres spirituels ne sont pas totalement à l’arrêt. « Depuis le confinement, nous proposons un certain nombre de retraites en ligne selon un mécanisme désormais bien rodé », raconte ainsi le père Nguyen. Alors que Manrèse est un haut lieu des retraites de préparation au mariage pour les couples de la région parisienne, deux tiers des fiancés adoptent cette nouvelle formule, tandis que le dernier tiers préfère attendre une réouverture des centres spirituels. « Le côté positif de ces mesures est que nous avons été contraints à la créativité », sourit Timothy Kearney. Bien qu’en ligne, ces sessions sont payantes, et offrent une source de revenus.

Pour beaucoup, cette baisse forcée de l’activité a permis d’ouvrir une réflexion sur leur fonctionnement. « Les communautés essaient d’accueillir ces contraintes pour faire des choses qu’elles n’ont jamais le temps de faire et réfléchir à leur mission pour la rendre encore plus féconde », assure Aurélie Carpentier. De son côté, le père Nguyen s’interroge : « À quoi cette pandémie nous appelle-t-elle ? » Il imagine déjà pour Manrèse un accueil plus dépouillé, impliquant davantage les retraitants dans les tâches quotidiennes. Le jésuite s’en dit convaincu : « Il existe une convergence entre la nécessité économique et un appel spirituel à évoluer. »

Xavier Le Normand
Journal LaCroix du 4 mai 2021